4 avril 2020 | écrit par Mathilda Saccoccio
« C’était notre plus grand coup avant le confinement
pour la cause du mouvement »
Dans la nuit précédant la manifestation, plusieurs membres du collectif Collages Féministes Lyon ont discrètement hissé en haut de l’échafaudage un collage de grande envergure. « C’était très MacGyver comme moment » confie le collectif. « Une des membres du mouvement a eu cette ingénieuse idée, c’est elle qui l’a pensé. Elle est montée seule sur l’échafaudage déjà plusieurs fois. Elle a réussi à estimer la longueur du tissu en fonction de son poids ». Confectionnée dans un parking et peinte d’après un savant calcul pour s’assurer de la taille idéale des lettres, la toile aura eu besoin environ 48,9 mètres de tissu pour la réalisation de ce collage. Les féministes du mouvement étaient une quinzaine cette nuit-là. « C’est notre plus grand coup de communication. L’adrénaline de ce soir là était incroyable. Rien ne s’est passé comme prévu, c’était une totale improvisation. Il y a eu beaucoup de partage sur les réseaux sociaux. Les organisateur.ice.s de la manifestation n’étaient absolument pas au courant. » raconte le collectif. Ce collage est porté fièrement par le mouvement comme un étendard : « Il y a un système qu’on dénonce et on réalise des actions illégales afin de montrer aussi qu’il ne nous convient pas. On savait très bien que ça signerait peut-être un durcissement de la police face aux collages. »
Le 8 mars 2019, lors du rassemblement pour la journée internationale de la lutte pour les droits des femmes, une impressionnante bâche de tissu surplombe l’immensité de la place Bellecour. Sur le collage qui recouvre trois modèles pour une publicité Zalando, on peut lire : « féminicides, agressions, viols, harcèlements, sexisme, lgbtiphobie, racisme, putophobie. Le patriarcat est partout, nous aussi. La révolution sera féministe ou ne sera pas. » Une action politique jamais vue depuis le début de l’histoire du mouvement des collages féministes.
Le mouvement grandit principalement dans les facultés et prend de l'ampleur.
Dans le courant de la fin de l’été 2019 se crée « Collages Féministes Lyon ».
Plusieurs manifestations s'en suivent dans la métropole et grossissent au fur et à mesure des mois. « Arrêtons, de compter nos mortes » clame le collectif en réponse à la politique lancée par la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité hommes-femmes, Marlène Shiappa, jugée insuffisante par les féministes. Aujourd’hui ce mouvement lyonnais apartisan compte au-delà d’une centaine de membres. Les ateliers de collages se planifient sur les réseaux et les féministes se réunissent en non-mixité volontaire pour leurs actions. Ce mouvement politique bien qu’illégal, prolifère autant sur les réseaux sociaux que dans les rues de la métropole. Il réunit plus de 12 000 abonnés sur leur page Instagram et résonne notamment dans la presse. Il ne se passe pas un jour sans qu’au détour d’une rue de la ville, on ne croise pas un message féministe. « Le mouvement a beaucoup grossi avec la manifestation place Bellecour grâce à l’action contre les féminicides. » raconte le collectif.
Fondé par des féministes parisiennes en réponse aux violences conjugales et aux féminicides, un mouvement de collages féministe s’implante dans le paysage urbain et se diffuse au niveau national. Des messages sont collés le long des murs des villes, ils cherchent à rendre visible le nombre de femmes décédées sous les coups de leur conjoint.
« Aux femmes assassinées, la patrie indifférente », tels sont les messages que l'on peut voir inscrits dans les rues.
« La non-mixité est souvent un problème, surtout quand on exclut quelqu'un d’un groupe, c’est parfois perçu aussi comme une violence, mais pour les hommes il y a tellement d’autres manières d’agir pour nous aider. »
Pour intégrer le mouvement, il suffit d'écrire un message sur leurs réseaux sociaux, ou un mail. L’action a lieu en non-mixité, mais les hommes peuvent aussi aider. Une aide masculine est envisageable via de la garde d’enfant pendant les collages, en fournissant du matériel, en participant à la cagnotte, en la partageant et en reproduisant des messages du collectif. « Ils sont exclus de l’action, mais pas de la réflexion », explique le mouvement. « Ça arrange plus de monde la mixité que ça ne dérange. Il nous faut un espace de parole safe, nous n’avons pas envie dans les collages de la faire de la pédagogie », rajoutent les féministes. « La non-mixité est souvent un problème, surtout quand on exclut quelqu'un d’un groupe, c’est parfois perçu aussi comme une violence, mais pour les hommes il y a tellement d’autres manières d’agir pour nous aider ». Le mouvement possède des positions politiques et féministes affirmées : « Nous sommes intersectionnel.le.s et corolairement inclusif.ve.s », précise le collectif.
Une augmentation des violences sous confinement
Selon l’AFP, il se déroule environ une centaine de féminicides par an.
Pour préciser les chiffres, le Grenelle des violences conjugales recense 220 000 femmes ayant subi des violences sexuelles ou physiques en 2019. Cette situation alarmante est mise en lumière par le collectif notamment depuis le mois de mars. En effet, depuis le confinement, le signalement de violence a augmenté de 32%, d’après le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner. C’est une augmentation qu’a également notifié le collectif.
Certaines victimes appellent même à l'aide directement sur leur compte Instagram.
« Ça nous est arrivé dans le passé et encore plus en ce moment. Des femmes cherchent à trouver un logement temporaire, au moins pour le confinement. Dans la mesure du possible, on fait tout ce qu’on peut, même du relogement. Parfois les colleur.se.s font des collectes entre eux.elles. Certains.es membres du collectif l’ont fait récemment pour des courses afin d’aider une personne qui s’était enfuie de chez elle. La veille, cette femme avait la police en ligne, ils ne se sont pas déplacés parce que 'Monsieur est violent mais c’est chez lui, et pas chez elle.' » nous raconte l'une des féministes. « Pourquoi ce serait à la victime de partir du foyer et d’être relogée, mais plutôt au conjoint violent ? » s’interroge-t-elle.
Aujourd’hui le collectif alerte principalement sur la prise en charge des victimes et les augmentations des violences conjugales sous confinement. « Et encore, on ne connaît pas tous les chiffres, car nombreuses sont les victimes qui font silence sous le joug de leur mari. » Pour le collectif, les réformes prisent par le gouvernement contre les violences conjugales semblent montrer de nombreuses limites. Par exemple, les lignes d'appels du 3919 deviennent surchargées. « Il faut rappeler que les femmes se retrouvent enfermées avec leur bourreau et qu’elles ne peuvent plus téléphoner pour appeler à l’aide ». Il en va de même pour le « Masque 19 », une mesure portée par Marlène Shiappa auprès des pharmacies. « Masque 19 » est un code pour alerter en cas de violences conjugales, il est jugé insuffisant par le collectif. « Les pharmaciens, comme les policiers ne sont pas formés pour accueillir la parole et recevoir des victimes de violences. » Le numéro 3919 Violence Femme Info semble poursuivre également son activité sous le confinement avec la mise en place d’un SMS au 114. Malgré tout, le gouvernement ne semble pas, pour les colleur.se.s, apporter des solutions efficaces et concrètes. « Le 3919 a été suspendu pendant une semaine durant le confinement, sans aucune alternative. C’est censé être la priorité du quinquennat » explique le mouvement.
« Il faut rappeler que les femmes se retrouvent enfermées avec leur bourreau et qu’elles ne peuvent plus téléphoner pour appeler à l’aide »
« On leur met des moyens dans les mains mais les règles et les lois n’y sont pas adaptées. C'est une séquestration légale pour les victimes. Au final, les femmes en dernier recours vont demander l’aide à un collectif fantôme qui n’est même pas une association. Ça veut dire qu’on est le dernier recours, qu’elles ont déjà usé de tous les moyens légaux et appelé tous leurs proches. Il y a des acteurs parallèles qui s'organisent en se mettent en danger pour pallier l'Etat. On n'a aucun recours, mais on ne peut qu’agir. Le véritable problème c’est que personne ne s’intéresse véritablement au concret, même les médias restent silencieux sur la situation face au confinement. La solidarité se fait par des indépendants et c’est principalement ça qui permet aux femmes de s’en sortir. » Pour ce faire, le collectif est en lien avec une multitude d’associations féministes. « On essaie de mettre en lumière les associations oeuvrant au quotidien comme la Fondation des femmes qui dans l’urgence du Covid 19 et face aux augmentations des violences conjugales, a créé une cagnotte en ligne qui permet de payer des nuitées ou de financer des équipements pour les travailleuses sociales en télétravail. »
Quels modes d'action pendant le confinement ?
Le confinement n’a pas remis en cause le mode d’action du collectif, bien au contraire.
Le collage ne s’arrête pas au paysage urbain. Il y aura toujours les murs virtuels où s’agitent les partages. Une solidarité hors norme semble s’activer. Il y a aussi le mur des chambres où certains membres du collectif collent des messages et les prennent en photo afin de les diffuser sur Instagram. Continuer à coller ces messages est un moyen interne pour poursuivre la lutte. Aussi, une nouvelle idée est apparue : les collages numériques photoshopés sur des photos de la ville. Enfin, certains messages se posent également sur les fenêtres. À défaut de sortir, des ateliers peintures s’organisent individuellement chez les uns et les autres. « Depuis le confinement, l’émulation sur les réseaux sociaux a pris une tournure très positive. On profite du confinement pour éduquer, sensibiliser un peu plus et être dans l’explication. Le collage n’a pas de limite, il s’est très bien adapté au numérique ». Comme pour un bon nombre d'associations, les modes d'action des colleur.se.s ont pris possession du web et particulièrement des réseaux sociaux.
Les murs prennent des allures plurielles et continuent de dénoncer le silence impromptu des violences faites aux femmes.