27 octobre 2020 | écrit par Mathilda Saccoccio
La banlieue lyonnaise est une véritable pépinière artistique. Les projets fleurissent devant les immeubles et l’art s’insuffle doucement bien au-delà du centre-ville. Il existe de nombreuses initiatives valorisant les richesses culturelles de la périphérie. C’est le cas de l’association 'Extra Muros'. Désormais, les jeunes de Saint-Priest pourront avoir accès à des workshops de découverte et d'initiation à la mode. Des sessions de création hebdomadaires imaginées par Eliott Biant, le porteur du projet, et son équipe. Un seul code postal est à retenir : 69800, c’est là où tout a commencé.
Il faut imaginer Saint-Priest quelques années en arrière, des terrains de basket, des camaraderies sur le bitume et du rap dans les écouteurs.
« J'ai grandi à Saint-Priest. Avec mes potes, on faisait quatre fois par semaine du basket. J’ai fait une prépa littéraire pour préparer Sciences Po, puis je me suis réorienté pour faire de la mode. En fait, à la sortie du bac, je n'ai pas osé me lancer. C’est difficile de dire à tes parents, ‘j’ai envie de faire de la mode’. On se met des barrières spontanément tout seul alors qu’il n'y a pas de raison. Le milieu de la mode n'est pas stable, c'est un milieu créatif où on a toujours des doutes et il y a très peu d'élus », nous raconte Eliott.
« Par la suite, j’ai fait l’Esmod sur les pentes de la Croix rousse. C’est là où j’ai exploré toute la culture de la banlieue dans sa diversité et à travers la mode. J’ai alors conscientisé que j’avais grandi à Saint-Priest. Quand on me demandait ce que je voulais faire comme vêtement, je pensais à la banlieue. J’étais influencé à travers le sport et la musique par la culture hip-hop. Mon premier projet 'Extra-muros', c’était en mars 2018. Je n'avais pas encore songé à un projet d'association à l’époque. Il y avait en moi cette idée d’appartenance à un code postal : 69800 ».
« J’avais envie d’apporter ma ville en centre-ville. Après un master, j’ai décidé d’arrêter mes études pour me concentrer sur mon projet 'Extra Muros'. Je suis curieux de savoir où ça va nous mener », conclue le jeune designer.
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crédits photos : Artkodes
![artkodes-em-55.jpg](https://static.wixstatic.com/media/7f3d5f_d50b014f00c64dd69cbf42266209078b~mv2.jpg/v1/fill/w_683,h_455,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/artkodes-em-55.jpg)
crédits photos : Artkodes
De l’intra muros à l’extra muros
Extra Muros fait référence à la banlieue. C’est une opposition à intra muros.
Ce nom fait écho aux zones périurbaines où la culture s’exporte plus difficilement qu’en centre-ville.
« C’est vraiment cet esprit-là. C'est essayer d’utiliser mes compétences acquises dans le milieu de la mode et les compétences de mes amis qui sont inhérentes à celle-ci, comme la photo et la vidéo, pour les transmettre à des jeunes de banlieue. En effet, s’ils ne s’autorisent pas à aller vers des études créatives cela leur permet de mettre un pied dans la créativité en imaginant des choses tous ensemble et en rencontrant du monde autour du vêtement. C’est comme un vent de liberté et c’est une ouverture aux autres, par la culture.
J’ai fait le choix d’un format associatif pour souligner un sentiment de cohésion. La création d'une marque m’aurait moins permis de fédérer du monde. Avec toute l’équipe, on a la dalle et il faut que ça se voit. Ce ne sont pas les a priori sur le monde de la mode qui vont nous arrêter. On essaie de créer du commun et de mettre l’accent sur la jeunesse.
Aussi, on retranscrit sur plein de supports visuels ce qu’on utilise avec nos mains. Les workshops sont créatifs et ludiques. C’est en réalisant et en montrant ce qu’on a fait que naît un sentiment d’appartenance », nous explique Eliott.
Les contours d’une identité avec pour empreinte, la rue
Comment laisser une empreinte ?
C’est la question que s’est posée Eliott pour imaginer sa nouvelle collection.
« J’ai développé un imprimé en roulant sur du tissu avec de l’encre sous les pneus de ma voiture.
Je voulais montrer qu’il existe plein de façons de faire de la mode et qu’avec un objet du quotidien, on peut venir créer quelque chose d’original. C’est comme ça qu’est née cette collection. Les vêtements sont assez simples dans la coupe. Pour moi le t-shirt est symbolique du milieu du sport et de la banlieue. C’est un vêtement confortable que tout le monde peut s’offrir », raconte Eliott.
« Ce n’était pas seulement l’empreinte de la rue, c’était laisser une empreinte sur autrui, quelque chose de plus profond. Tout ce processus était de créer les contours d’une identité. Il fallait que tout le monde puisse porter ce t-shirt et qu’il soit accessible. Aux workshops, les jeunes viennent apprendre et repartent avec un tee. Il faut être fier de faire ça tout seul. C’est une collection pensée pour mettre en avant l’image de la cohésion et une uniformité grâce à cette trace de pneu sur ces six looks-là », résume-t-il.
![artkodes-em-53.jpg](https://static.wixstatic.com/media/7f3d5f_f5ccfc4fae904cb88db1e6f51275b032~mv2.jpg/v1/fill/w_680,h_1020,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/artkodes-em-53.jpg)
crédits photos : Artkodes
L’esthétisme visuel de la banlieue
Beaucoup de proches du projet sont originaires de la banlieue est et sud de Lyon comme Vénissieux et Bron. Saint-Priest sonnait comme une évidence et 'Extra Muros' a toujours gravité dans ces zones-là. La vidéo de la dernière collection a été tournée dans le quartier de la gare de Vénissieux derrière les Usines Renaut Truck. Dans l’ancienne cité ouvrière, sur la commune de Saint Priest se trouvent des rangées de containers. Un playground unique où Eliott a shooté son dernier projet textile avec le photographe Artkodes.
« Je pense que beaucoup de gens s’inspirent de la banlieue, ce n’est pas nouveau. Elle nous a toujours inspiré mais c’est difficile de la mettre en avant. C’est une esthétique un peu rugueuse et écorchée. Il faut le faire intelligemment et éviter d’être premier degré. C’est le piège dans lequel il ne faut pas tomber : montrer un aspect de la banlieue dur et difficile. Ce n'est pas forcément le cas, on y grandit heureux. Je pense que nous n’avons pas fini d’exploiter l’image de la banlieue. 'Extra Muros' n’a pas la prétention d’arriver à mettre toute la banlieue en avant. C’est l’ambition de donner accès à une culture plus mode dans un endroit où il y en a très peu. J’aurais aimé qu’à 15-16 ans on me propose ça », se confie Eliott.
« Les inspirations d’Extra Muros se trouvent en majeure partie avec ce qu’il y a autour de nous.
Multiplier les espaces sociaux et les rencontres nous enrichit. Puis pour être honnête, c’est la culture rap qui fait basculer notre cœur. La recette, c’est des sapes, de l'image et des prods de rap. »
« L’aspect digital est très important aussi. L’ouverture au numérique va être explorée dans l’association. Il y a beaucoup de ponts à faire avec la mode. Les workshops aboutiront à un événement autour d'une nouvelle collection créée par des jeunes. Je n’ai pas envie de rentrer dans les schémas classiques du défilé et de ce rythme effréné de la mode. Il y a quelque chose d’élitiste dans les défilés et ça ne représente pas l’essence de la banlieue et sa richesse culturelle. Nous pouvons faire notre mode à notre échelle et parler à un plus grand nombre de personnes. C'est-à-dire travailler comme un studio de création et qu’on puisse voir le processus de A à Z. Les jeunes n’ont pas besoin de connaissances dans le domaine de la mode pour rejoindre le projet. L’idée est d’acquérir de la connaissance sur le tissu, les imprimés, les techniques de couture et du dessin, par exemple. Les workshops sont ouverts aux 15-20 ans, ils sont totalement gratuits », déclare Eliott.
![artkodes-em-16.jpg](https://static.wixstatic.com/media/7f3d5f_e4cd3c7b00f343d3879142e82c50a062~mv2.jpg/v1/fill/w_311,h_466,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/artkodes-em-16.jpg)
crédits photos : Artkodes
crédits photos : Noémie Lacote
L’exportation de la culture au-delà du périphérique
« Il y a un fossé entre la ville et les banlieues. Il n’y a pas le même accès à la culture. En revanche, je reste optimiste : le processus est en cours. Au sujet de Saint-Priest, je me sens proche de cet endroit, de cette atmosphère et de ces valeurs. Pour moi, peu importe d’où tu viens au final si on a la même vision. On se réunit plus autour de valeurs que d'un espace géographique. Pour moi, l’espace social n’est pas géographique. Malgré tout, tu as toutes ces notions d’urbanisme, par exemple : le périphérique. Il reste une barrière physique et mentale assez symbolique », déplore Eliott.
« Par exemple sur le journal de publication des associations, je crois qu’il existe environ 80 associations appelées 'Extra Muros' aujourd’hui, ça en dit long. Il y a beaucoup d’initiatives. Le seul truc qui manque, c’est la mise en lumière. De plus, ça reste segmenté sur de la vie de quartier. Il faut aller à un cran au-dessus. »
« Selon moi, la légitimité, tu l’obtiens si tu arrives avec une bonne intention et une vision de partage. Dans ce sens-là, ça ne sera jamais de l’appropriation culturelle. Il faut juste savoir rester à sa place, mais c’est très important d’aller vers des choses que tu ne connais pas. Il faut convaincre les gens qu’ils peuvent essayer. C’est cette impulsion-là qu’il faut donner et moi, j’ai vraiment de l’espoir dans notre génération », conclue le jeune designer.
![artkodes-em-35.jpg](https://static.wixstatic.com/media/7f3d5f_038d2f7e872a4f7ca04d43a4fc2a82b6~mv2.jpg/v1/fill/w_682,h_853,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/artkodes-em-35.jpg)
crédits photos : Artkodes
La jeunesse lyonnaise du côté des banlieues
Nous avons poser des questions sur la jeunesse et sur son identité à Eliott.
« La jeunesse pour moi c’est l’avenir et c’est une énergie. Les gens on la dalle, il suffit juste de tendre une main parfois pour que quelqu’un la prenne et fasse des merveilles et c’est ça que j’ai envie de voir. Avec toute l’équipe, on arrive avec l’idée que ça va super bien se passer et qu’on va s’éclater avec les jeunes en proposant des choses intéressantes », s'enthousiasme Eliott.
« Je pense que la jeunesse lyonnaise a énormément de talent. J’ai vécu en banlieue et au centre-ville et j’ai énormément d’amis qui ont envie de faire des choses créatives. Même en termes de mode, comment les gens s‘habillent, c'est hyper intéressants et il y a plein de choses qui évoluent. En termes de musique, c’est un truc de malade, ça attend juste à percer. D’ailleurs, pas uniquement le rap, il y a beaucoup de musiques underground qui se développent. Tout le monde mérite de se faire entendre et de s’exprimer. J’espère que des projets comme le mien vont se multiplier. Humainement, ce sont de belles initiatives. La culture a tellement à apporter de manière générale à la jeunesse. »
« L’identité d’une jeunesse c’est quelque chose qui se construit avec les gens que tu rencontres.
À Lyon il y a un environnement qui est propice à la création, il y a beaucoup de gens qui ont envie de le faire mais qui n’osent peut-être pas. Les discours qui disent qu’il n'y a pas d’identité à Lyon, c’est juste contre-productif et ça ne sert personne. Ça peut juste en décourager certain.e et attiser les choses dans le mauvais sens. Prouver une identité c’est le mauvais combat. Il faut juste montrer que d’une part, les identités sont plurielles, et d'autre part, qu’il faut toutes les préserver.
Toutes ces initiatives créatives, sociales et environnementales vont participer à créer une cohésion, à quelque chose de collectif. Il faut réunir les gens, faire du vivre ensemble. Si c’est par la musique, la mode qu’on fédère les gens ou autour d’un verre, on trouvera plein de façons de le faire. Je pense qu’il faut être optimiste et confiant. Il faut commencer par dire des vérités simples.»